Édition n°13 — Le fiasco des taxis volants d’ADP
Subventionnés par la région Île-de-France, les taxis volants du groupe ADP survoleront bien la capitale pendant les JO, mais sans passagers. Récit d’un fiasco en dix étapes.
Bonjour à toutes et à tous,
À l’approche des Jeux, se déplacer à Paris devient de plus en plus compliqué. On rêverait parfois de pouvoir survoler les embouteillages pour rentrer chez soi.
Et si je vous disais que ce sera possible dans le cadre des JO ? 🚕 🦅
C’était en tout cas ce qu’annonçait le groupe Aéroports de Paris (ADP) il y a encore quelques mois.
Depuis, le projet des “taxis volants” a connu de nombreux rebondissements, que nous allons retracer ensemble dans cette édition.
Spoiler : il y aura bien des taxis dans le ciel de Paris pendant les Jeux, mais pas pour tout le monde.
La suite après les statistiques de la semaine... ⤵️
LES STATS DE LA SEMAINE 25
2 000 publications mentionnent les sponsors sur des sujets en lien avec les Jeux, soit une baisse de 16,1% par rapport à la semaine précédente.
1 200 auteurs uniques ont parlé des partenaires des JOP (-16,4%).
Le partenaire le plus cité est Orange avec 394 mentions en 7 jours, soit une part de voix de 18,2%.
Alors que la flamme est de retour en France métropolitaine depuis quelques jours, c’est Coca-Cola qui a obtenu le plus d'engagement avec plus de 35 000 interactions (23,3%). BPCE se classe en deuxième position avec 28 800 interactions (19%), EDF occupe la troisième place avec 20 300 interactions (13,4%).
À LA UNE – LE FIASCO DES TAXIS VOLANTS D’ADP
Des taxis volants aux Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 ? C’est le pari fou annoncé par Airbus, ADP et la RATP dès 2019. 🚁
Au fil des années et des expérimentations, le projet s’est concrétisé : Airbus a été remplacé par la startup allemande Volocopter, Île-de-France Mobilités est montée à bord de l’initiative et le nombre de bases de taxis volants est passé de 3 à 5 (Issy-les-Moulineaux, Versailles, Paris Austerlitz, Le Bourget et Roissy Charles-de-Gaulle).
Très rapidement, le projet a non seulement bénéficié du soutien de la région Île-de-France (qui le subventionne à hauteur de 1M€) mais aussi de l’enthousiasme du gouvernement.
« Le taxi volant paraît un peu fou, mais devient une réalité technique qui marche. Bien sûr ce sera exceptionnel, mais l’idée est de ne pas manquer le train de l’innovation pour que, dans les années qui viennent, cela devienne un mode de transport plus large et démocratique et que la France soit bien positionnée ».
– Clément Beaune, ancien ministre des transports, selon L’Équipe
Malgré plus de 5 ans de préparation et le soutien de nombreux acteurs publics et privés influents, il n’y aura finalement pas de vols commerciaux en taxis volants à Paris 2024.
Pour comprendre ce qui s’est passé, nous allons retracer les étapes clés du projet grâce aux données récoltées dans notre baromètre.
Un fiasco en dix actes
Juin 2019
Au salon du Bourget, Airbus, ADP et la RATP annoncent un partenariat pour “faire décoller des taxis volants en région parisienne” lors des JO 2024.
Novembre 2022
Inauguration du premier vertiport européen à Pontoise et premier vol d’essai effectué par le VTOL (Vertical Take-off and Landing = véhicule à atterrissage et décollage vertical) de la startup allemande Volocopter.
Juin 2023
Près d’un an avant le début des JO, les taxis volants de Volocopter et ADP sont les “stars” du salon du Bourget. Le groupe ADP se dit confiant sur les échéances du projet.
“On est en ligne avec l'objectif du service commercial à Paris en 2024. On sera au rendez-vous.”
– Edward Arkwright, DGE du groupe ADP, au salon du Bourget
Septembre 2023
Le projet de taxis volants suscite des interrogations de l'Autorité environnementale (AE), qui juge l'étude d'impact “incomplète”. Le groupe ADP se défend immédiatement en rappelant le caractère expérimental du projet.
Novembre 2023
Une enquête publique est ouverte pour permettre aux Parisiens de s’exprimer sur le projet. Les élus parisiens s’y opposent. Ainsi, le Conseil de Paris rend un avis négatif, dénonçant notamment un programme “absurde” et une “aberration écologique”. D’autres communes franciliennes font également entendre leur mécontentement.
“Il n’y a rien qui va dans ce projet […], un gadget totalement inutile et hyperpolluant pour quelques ultraprivilégiés pressés.”
– Dan Lert, adjoint à la transition écologique de la ville de Paris, dans Le Monde
Février 2024
À l’issue de l’enquête publique, le commissaire enquêteur Jean-François Lavillonnière formule un avis défavorable à la délivrance de l’autorisation ministérielle. Il déplore notamment un manque de pertinence pour l’intérêt général, émettant des doutes sur la contribution de ces engins au désengorgement du trafic routier.
Mars 2024
Tandis que Volocopter attend toujours la certification de son appareil innovant par l’Agence européenne de sécurité aérienne, les deux partenaires annoncent sur BFM Business qu’ils restent “pleinement mobilisés pour faire aboutir le projet d'expérimentation de taxis volants électriques à l'occasion des JO”, malgré les revers.
Avril 2024
Faute de pouvoir obtenir une certification complète dans les temps, le Volocity volera bien à Paris cet été mais il n’y aura pas de vols commerciaux, uniquement quelques vols réservés aux VIP et des expérimentations.
“Volocopter devra se contenter de vols expérimentaux et de missions sanitaires d’urgence. [...] Il ne faudra donc pas compter sur eux pour vous déplacer dans Paris et ses alentours via le ciel.”
Mai 2024
Quai d’Austerlitz, le chantier de construction du vertiport commence sans le feu vert de l’État. Des élus écologistes se rendent sur place pour contester encore une fois l’installation de la plateforme. En parallèle, la présidente de la région Île-de-France, qui subventionne le projet, tacle les réfractaires en indiquant qu’on ne “reviendrait pas à la bougie”.
Juin 2024
Dans une interview exclusive avec Le Parisien, le ministre des transports Patrice Vergriete annonce qu’il donnera son feu vert pour expérimenter des taxis-volants durant les Jeux Olympiques de Paris. Malgré cela, le collectif “Taxis volants non merci” maintient la pression à travers notamment une pétition en ligne, une lettre ouverte adressée au Ministre et une manifestation organisée à Paris le vendredi 21 juin.
Évolution de l’exposition médiatique
➡️ L’exposition médiatique du sujet (articles en ligne + réseaux sociaux) a connu plusieurs pics au cours des 12 derniers mois.
La portée potentielle a été la plus élevée au moment du salon du Bourget en juin 2023 ; puis lorsque l’Autorité environnementale a rendu son avis défavorable en novembre 2023 ; enfin au moment de l’interview BFM Business des deux hommes à la tête du projet en mars 2024. Le mois de juin 2024 marque un dernier temps fort, avec une majorité de contenus critiques.
Il est intéressant de noter que chaque pic d’exposition est plus bas que le précédent, preuve que l’effet de surprise initial s’est estompé. 📉
Point sur les critiques
Quels sont les principaux points de critique exprimés par les médias, les élus locaux et les ONG ?
Dépenses liées au projet : la région Île-de-France a investi 1 million d’euros dans le projet. Une somme non négligeable qui aurait pu être investie dans d’autres projets à utilité publique plus directe, comme la modernisation des infrastructures de transport existantes.
Capacité de transport limitée : à raison de 6 rotations quotidiennes et 1 passager par vol, en plus du conducteur, un taxi volant peut transporter 6 personnes par jour. Ce qui fait dire à certains élus qu’il s’agit d’un projet “absurde” pensé pour des VIP ou “happy few”. En tout cas, c’est trop peu pour désengorger le trafic parisien.
Consommation énergétique : la consommation du Volocity, près de 190 kWh aux 100 km, est deux à trois fois plus élevée qu’une voiture à moteur thermique pour transporter un seul passager.
Prix de la course : 140€ pour 35 km, c’est le prix annoncé par ADP pour une liaison entre l’aéroport et le centre de la capitale. Soit deux fois plus que pour le même trajet en taxi “roulant”.
Pollution sonore et visuelle : dans son avis, l’Autorité environnementale pointait des impacts potentiels sur la pollution sonore et visuelle des taxis volants “du fait de la multiplication des aéronefs dans un espace jusque-là interdit de survol”. Sur la question du bruit, Volocopter a pu rassurer en annonçant un volume de 65 db émis à une distance de 120 m, soit beaucoup moins qu'un hélicoptère classique (87 db) ou qu'un poids-lourd à une vitesse de 50 km/h (85 db).
Risques de sécurité : autre point mis en cause par l’AE, la sécurité des passagers comme des populations survolées. À noter que grâce à la plateforme d’atterrissage et de décollage construite sur le quai d’Austerlitz, les taxis volants “pourront entrer dans Paris sans passer au-dessus des habitations mais seulement en survolant la Seine”.
Plusieurs erreurs de communication
Depuis l’annonce du projet en 2019, les taxis volants imaginés pour les JO par ADP ont connu de nombreux rebondissements.
Suite à l’avis défavorable de l’Autorité environnementale en septembre dernier, ce projet passionnant s’est transformé en polémique politique. 😠
Face à ce sujet sensible, les acteurs en charge du projet (ADP, Île-de-France Mobilités, Volocopter) ont fait plusieurs erreurs de communication.
S’accrocher coûte que coûte au planning
À un an des Jeux, ADP annonçait “être en ligne avec l'objectif du service commercial à Paris en 2024”. En février dernier, malgré les nombreux revers, le directeur France de Volocopter déclarait en direct sur BFM Business qu’il s’attendait à obtenir la certification de son appareil à temps pour les Jeux… Finalement, cette certification n’a pas pu être obtenue et il n’y aura aucun vol commercial à Paris 2024.
Créer des attentes irréalistes
Aujourd’hui, la capacité du Volocity est d’un seul passager. Pas assez pour proposer une vraie alternative aux taxis ou aux VTC. Valérie Pécresse a récemment assuré que “l'objectif des promoteurs de ce projet ce n'est pas de faire un taxi volant [mais] de faire une navette volante avec 6 à 8 personnes dedans qui paieraient le même prix qu'un taxi qui se rend à l'aéroport.” Néanmoins, le discours de Volocopter est plus nuancé. La startup mentionne seulement la préparation d’un appareil 4 places, et ce pour 2027. La perspective évoquée par la présidente de la région Île-de-France semble bien lointaine.
Rester flou sur des points essentiels
En mai 2023, Augustin de Romanet, PDG du groupe ADP, était l’invité du 8h30 France Info. Interrogé sur le projet de taxis volants, il indiquait vouloir vendre “quelques milliers de billets” (raté) à des prix “très raisonnables”. Petite hésitation lorsque les journalistes lui demandent la cible (VIP ou grand public) ainsi que le coût d’une course en taxi volant. Pourquoi cette hésitation est-elle problématique ? Parce que cela donne l’image d’un dirigeant qui n'est pas entièrement convaincu par le projet, ou a minima réticent à communiquer les tarifs car il a conscience que ces derniers sont trop élevés.
Lancer un projet sans consulter les acteurs locaux…
Enfin, le projet des taxis volants est une initiative qui a été lancée sans l’avis des Parisiens ou de leurs représentants démocratiques. En effet, les élus de la capitale ont seulement pu s’exprimer sur le sujet après l’avis défavorable de la part de l’Autorité environnementale. De la même manière, la consultation citoyenne a été lancée tardivement, en novembre 2023. C’est à ce moment que la polémique a investi les réseaux sociaux. ⬇️
…et le poursuivre contre leur avis
Quel a été l'impact de ces critiques sur le projet ? A priori aucun. Malgré les avis négatifs de la part de l’AE, du Conseil de Paris et du commissaire enquêteur, ADP, Volocopter et la région ont poursuivi le projet à leur rythme. Insistant sur le caractère expérimental de ce dernier et les bénéfices à long terme, ils ont décidé de mener à bien une initiative soutenue par aucun organe représentatif des habitants de Paris. Une décision économiquement compréhensible mais politiquement (et moralement) contestable.
Aujourd’hui, la bataille continue sur les berges de Seine. 🪧 On peut s’attendre à d’autres actions de protestation de la part d’élus et associations d’ici le début des Jeux. Néanmoins, on devrait bien voir des taxis voler au-dessus de Paris cet été.
Reste à savoir si cette expérimentation coûteuse et controversée permettra de développer des pistes d’amélioration concrètes pour les transports en commun franciliens. 🚇
OVERTIME
En parlant d’expérimentation coûteuse... Les Jeux Olympiques de Paris 2024 en valent-ils le coût ? C’est la question à laquelle la rédaction d’Alternatives Économiques a tenté de répondre dans une série archi-complète sur “le vrai coût des JO”.
Qui touchera “l’héritage” économique de Paris 2024 ?
Pourquoi Paris 2024 sera un laboratoire pour la vidéosurveillance algorithmique ?
Le 93 rattrapera-t-il son retard en matière de piscines grâce aux JO ?
…et plein d’autres questions passionnantes !
Un contrepoint intéressant à découvrir en ligne ou dans le numéro de juin du magazine.
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Rendez-vous mardi prochain pour l’édition n°14. Au programme – Quelle stratégie social media pour un sponsor purement B2B ?
Bonne semaine,
Samuel